Un parcours de soins unique pour accompagner les adolescents atteints de pathologies chroniques dans le passage à l’âge adulte
6 février 2024Entre 1,5 et 4 millions d’enfants et adolescents sont atteints d’une maladie chronique en France. Ces maladies, parfois sévères, font souvent l'objet d'une aggravation à l'adolescence. Pourtant, c’est justement dans cette période de vulnérabilité qu’il existe un risque accru de déni de la maladie, de décrochage des soins ou de conduites à risque. Eviter la rupture de soins et accompagner les jeunes dans cette transition, c’est tout l’enjeu de l’expérimentation ARIANE menée à l’Hôpital Femme Mère Enfant des Hospices Civils de Lyon (HCL) et aux Hôpitaux Nord-Ouest-Villefranche-sur-Saône, lancée tout récemment. Le programme ARIANE est mis en place dans le cadre du dispositif « Article 51 », avec l’autorisation de l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes et le financement de l’Assurance maladie.
Adolescence et maladies chroniques : le paradoxe
Marquée par une vulnérabilité liée aux effets psychiques et physiques de la puberté, l’adolescence est une période de chamboulements et de ruptures. On n’est plus un enfant, mais on n’est pas encore un adulte. Si cette étape de la vie peut s’avérer difficile à traverser pour un jeune en bonne santé, elle l’est d’autant plus pour un adolescent atteint d’une maladie chronique et cela peut avoir des conséquences :
- Sanitaires : perte de greffon et retour prématuré en dialyse d’adolescents transplantés rénaux, progression des destructions articulaires et du handicap dans les rhumatismes inflammatoires ou les maladies de l’hémostase, multiplication des passages à l’hôpital en conséquence de poussées de la maladie chronique…
- Psycho-sociales : perte de l’estime de soi, dépression, conduites addictives, isolement…
- Educatives et professionnelles : rupture scolaire, arrêts de travail ou absences répétées.
« Tout s’oppose à cet âge de la vie : l’adolescence accélère le temps et libère, tandis que la maladie stoppe et contraint ; l’adolescence fait grandir et autonomise, la maladie fait régresser et rend dépendant. Le jeune malade veut venir le moins possible à l’hôpital et on le sait, il finira par arrêter de prendre son traitement et prend le risque d’aggraver son état de santé. C’est à nous, professionnels de santé, de réfléchir pour aller vers eux et leur proposer des solutions pour les accompagner vers l’autonomie et l’âge adulte ».
Actuellement, l’entre-deux n’existe pas en médecine : la prise en charge des pré-adolescents et adolescents atteints d’une pathologie chronique s’effectue soit en pédiatrie soit en médecine adulte. De plus, elle est organisée en silos, par spécialité, et est presqu‘exclusivement médicale. Cette prise en charge s’articule autour de consultations et/ou d’hospitalisations, de l’administration et de l’adaptation des traitements, et intègre parfois une dimension d’éducation thérapeutique spécifique à la pathologie, car il n’existe pas de réel parcours dédié à ces patients adolescents. L’accompagnement global, ainsi que les compétences psycho-sociales et corporelles sont très peu développés, restent très disparates et dépendent des ressources de chaque service. Or, l’adolescent qui s’est attaché à son médecin-pédiatre et à l’équipe qui le suit depuis son diagnostic se trouve confronté à une expérience de perte au moment du passage dans un service d’adultes.
« Dès l’âge de 12-13 ans, les jeunes se questionnent beaucoup sur " est-ce que ma maladie va se poursuivre ? qu’est-ce que je vais devenir après, quand vous ne serez plus mon docteur ? " C’est important pour nous, médecins, de nous saisir de cette transition dans la vie de nos patients pour leur ré-annoncer leur situation, leur redire l’importance de suivre leurs traitements et de les aider à se réapproprier leur maladie », précise le Pr BELOT.
ARIANE, un parcours de santé dédié pour ne pas perdre le fil
Le besoin d’accompagner cette étape sensible du développement de la personnalité avait déjà fait l’objet d’une réflexion au sein de l’hôpital Femme Mère Enfant et avait abouti, en 2019, à la création de l’espace de transition "Pass'âge". Ce lieu dédié aux jeunes, voulu accueillant et convivial, réunit un box de consultation associant spécialités pédiatrique et adulte, une salle d’activité physique et une salle d’éducation thérapeutique.
Né du prolongement de cette expérience réussie et des récentes recommandations de diverses sociétés savantes pédiatriques, le programme ARIANE regroupe des professionnels des principaux sites des Hospices Civils de Lyon (hôpital Femme Mère Enfant, hôpital Louis Pradel, hôpital de la Croix-Rousse, hôpital Lyon Sud, hôpital Edouard Herriot) et de l’hôpital Nord-Ouest de Villefranche-sur-Saône. Il a vocation à expérimenter, au sein d’un dispositif « article 51 », un parcours de santé adapté aux besoins des adolescents de 12 à 16 ans atteints de maladies chroniques graves, suivis à l’hôpital Femme Mère Enfant ou à l'hôpital de Villefranche (HNO), parmi lesquelles :
- L’asthme sévère ;
- Les rhumatismes inflammatoires chroniques ;
- L’insuffisance rénale chronique ;
- L’hémophilie (ou autre déficit rare en facteur de coagulation).
L’expérimentation d’une durée de 5 ans a démarré en juin 2023. Elle propose l’inclusion, lors des trois premières années, de 250 patients avec une répartition de 200 adolescents à l’hôpital Femme Mère Enfant et 50 à l'hôpital de Villefranche (HNO) pour un suivi d’environ 3 ans. A ce jour, près de 60 patients ont déjà intégré le dispositif. « L’enjeu d’une expérimentation Article 51 étant de pouvoir être déployée sur l’ensemble du territoire si les résultats s’avèrent satisfaisants, il nous a paru important que ce projet soit décliné aussi sur un hôpital non universitaire prenant en charge les maladies rares, précise le Pr BELOT. Nous sommes ravis de partager ce projet avec l’hôpital de Villefranche, avec lequel nous collaborons de longue date ».
ARIANE s’articule autour de temps forts qui forment le socle du programme (en bleu sur le schéma ci-dessous), mais il est aussi personnalisé et évolutif, pour s’adapter au plus près des besoins et attentes de chaque patient, à chaque étape de son chemin personnel (en pointillé) :
- Plusieurs entretiens et des échanges réguliers avec une infirmière coordinatrice de parcours (elles sont au nombre de deux aux HCL, et une sur l’HNO) : réalisation d’une anamnèse psycho-sociale permettant d’identifier les besoins, présentation des propositions/interventions possibles et co-construction d’un parcours personnalisé, définition des outils d’échange avec le patient (messagerie, visio, téléphone…).
- Un bilan en Activité Physique Adaptée, qui permet d’identifier les capacités, besoins et envies du jeune, de définir des objectifs et de co-construire avec lui son programme en APA (séances individuelles pour lever les freins à la pratique, séances collectives de découverte, orientation vers les clubs et structures de proximité proposant une pratique adaptée…) et de suivi, notamment via l’application mobile propriété des HCL « APA-cadabra » utilisée dans le cadre de l’expérimentation.
- Des consultations de « transition » et de transfert réunissant l’adolescent, le médecin pédiatre et le futur médecin adulte, l’infirmière coordinatrice et les parents. Le médecin traitant est également inclus dans cette démarche, afin de renforcer le lien ville/hôpital et de faciliter le suivi de la maladie au domicile du patient.
- Des ateliers de soutien et de développement des compétences psychosociales: communication, travail sur l’estime de soi et la confiance en soi, sur la gestion du stress et des émotions… En complément, des séances bien-être sont en construction avec des socio-esthéticiennes, sur les deux établissements.
- Des consultations avec un psychologue libéral de proximité pour le patient et/ou son entourage (parents et fratrie), incluant le lien avec un spécialiste libéral et la possibilité d’une participation financière pour un certain nombre de séances.
« Nous sommes ravis de conduire cette expérimentation auprès de nos patients de l’hôpital Nord-Ouest avec l’espoir de pouvoir proposer ce dispositif à beaucoup plus de jeunes demain. La double consultation médecin pédiatre / médecin adulte est une étape-clé d’un transfert réussi. Dans cette période instable de la vie qu’est l’adolescence, elle apporte la sécurité dont le jeune patient a besoin. Etre là, devant lui, ensemble, et lui dire qu’on travaille tous dans un objectif commun : sa santé, c’est primordial. Pour moi, médecin pédiatre, c’est à la fois dire au jeune que je suis là pour sa pathologie "voilà le médecin avec lequel je travaille depuis des années et en qui tu peux avoir confiance" et à mon confrère qui va prendre la suite, l’occasion de lui raconter qui est cet ado que je lui confie, au-delà de ses caractéristiques médicales. »
Parcours de transition ARIANE
L’activité physique, un maillon essentiel du programme ARIANE
Au moment de l’annonce d’une maladie chronique, c’est l’une des premières questions posées : « Est-ce que je pourra. encore faire du sport ? ». S’il y a évidemment des arguments dans un sens et dans l’autre en fonction des profils de patients et de l’impact de la maladie, il n’y a pas de cas où les médecins n’incitent pas à faire une activité physique. D’ailleurs, les études sociologiques l’affirment : l’activité physique joue un rôle extrêmement important dans la reconstruction de son identité et de la capacité à reprendre pouvoir sur sa vie.
Quatre enseignants en activité physique adaptée (EAPA) accompagneront les 250 patients d’ARIANE, deux sur l’HFME et deux sur l’HNO. L’accompagnement en APA débute par un bilan au cours duquel l’EAPA va co-construire avec le jeune son programme en APA : « Nous parlons souvent de parcours/de chemin, précise Léa CUISINIER, coordinatrice en APA à l’HFME et responsable du projet APA-cadabra, car ce chemin peut évoluer et c’est important de le rappeler à nos jeunes et de les questionner régulièrement sur leurs envies et sur ce qui les freine, audelà des besoins définis par les médecins.
Cet accompagnement doit être initié dans le parcours de soin du jeune et se prolonger dans son parcours de vie. Il faut qu’ils puissent pratiquer régulièrement et de façon adaptée proche de leur domicile, dans leur environnement. Ainsi, l’EAPA peut aller jusqu’à identifier des structures sportives en ville dans lesquelles les adolescents pourront poursuivre leur pratique, ou encore prendre contact avec leurs professeurs des écoles et/ou professeurs d’Education Physique et Sportive en milieu scolaire.